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Au Kenya, apprendre le mandarin pour trouver un emploi : « Google Translate ne fait pas tout ! »

Sur le tableau blanc, Shariffa Noordin trace des idéogrammes de la pointe de son marqueur. Elle surligne chacun d’entre eux et se retourne vers la quinzaine d’élèves kényans qui occupent sa salle de classe en ce matin de septembre. Face à la professeure, des filles en grande majorité et quelques garçons. Tous ont 15 ans et portent le polo rouge brodé de doré de la chic Brookhouse School, à Nairobi. Devant eux sont ouverts des manuels scolaires sur lesquels est écrit « Mandarin for Cambridge ».
L’établissement scolaire, aux bâtiments de vieilles pierres et aux pelouses rases comme un parcours de golf, se niche dans le quartier de Karen, dans le sud-ouest de la capitale. Quelque 800 élèves le fréquentent, dont une part importante de Kényans.
Dans la salle de classe, Shariffa Noordin passe gentiment ses étudiants à la question : « Comment dites-vous “il y a trois chevaux” ? » Une élève avec de toutes petites tresses répond juste du premier coup. « Qui se rappelle le mot “oiseau” ? » Autre main qui se lève et nouvelle bonne réponse. « Dites-moi “elle a cinq oiseaux”. » Du tac au tac, les adolescents répondent presque sans aucune faute. L’enseignante hoche la tête, satisfaite.
Le cours du jour porte sur les mesures. Shariffa Noordin alterne entre le mandarin et l’anglais. Elle explique qu’en chinois « ordinateur » se dit « cerveau électrique » et que la langue n’a ni passé, ni présent, ni futur. Elle passe aux pronoms démonstratifs. Une heure plus tard, la classe se termine et les élèves s’éparpillent dans les couloirs. « Ils sont de plus en plus nombreux à suivre ce cours. Ils n’étaient que deux ou trois par classe en 2013, quand le cours a été proposé pour la première fois. Dix ans plus tard, ils sont en moyenne 18. Le chiffre a été multiplié par six », raconte la professeure, à la tête du département de mandarin de l’école.
Les jeunes Kényans sont de plus en plus nombreux à se lancer dans l’apprentissage du chinois. Longtemps perçu comme difficile, l’idiome ne fait plus peur. « En 2011, il y avait peu de classes et très peu d’apprenants dans le pays. Il n’y en avait aucun dans le primaire et le secondaire », explique Nobert Njoroge, fondateur de l’association Kenyan Chinese Speakers, qui regroupe plus de sept cents membres : « Aujourd’hui, le Kenya compte une quarantaine d’écoles du primaire et du secondaire [enseignant le mandarin], avec des effectifs de trente enfants par classe. Ça fait plus de mille personnes. »
La présence chinoise ne cesse de progresser dans le pays depuis le début des années 2010. Quatre instituts Confucius, des centres culturels où est enseigné le mandarin, ont vu le jour sur les campus des grandes universités. Quelque quatre cents entreprises chinoises sont implantées au Kenya et des quartiers de Nairobi, comme Kilimani, sont en partie façonnés par la présence asiatique. On y trouve des centres commerciaux aux devantures couvertes d’idéogrammes et, dans les lobbies de certains hôtels, la presse chinoise est distribuée chaque matin au même titre que les journaux kényans.
« La Chine ne cesse de prendre de l’importance dans les affaires », constate Steve Wakoli, un professeur qui enseigne le mandarin à près de deux cents élèves : « Beaucoup de parents kényans font du commerce avec des Chinois et se disent que ce serait une bonne chose que leurs enfants se mettent au mandarin pour leur avenir professionnel. »
Faute de pouvoir toujours suivre des cours en salle de classe, certains Kényans se lancent dans l’apprentissage en ligne avec des professeurs particuliers. Il est aux alentours de 17 h 30, ce mercredi, quand Emmanuel (son prénom a été modifié), 15 ans, se connecte à son cours à distance. Nicole Shitolwa, sa professeure de mandarin, est déjà en ligne. La voix du jeune garçon est lointaine, un peu timide. Chaque jour de la semaine, il suit après ses cours une heure de leçon particulière.
« Je veux qu’on commence par revoir ce que tu as écrit. Partage ton écran », demande l’enseignante. Apparaît un texte composé d’idéogrammes, accompagné d’images de dragons et de pagodes. « Tu as généré ça avec de l’IA ? », questionne Nicole Shitolwa. « J’ai juste pris sur Internet », répond Emmanuel. La leçon débute et le garçon commence à lire les symboles à voix haute, étirant certaines syllabes, jouant sur les intonations. La leçon du jour porte sur le vocabulaire du voyage. Parfois, Nicole Shitolwa l’interrompt pour le reprendre, lui demande comment se prononcent « printemps », « hiver », « été » et « automne » en chinois. Le garçon répond comme il peut pendant l’heure de cours. Ils se reverront le lendemain.
Nicole Shitolwa compte quatre autres étudiants à qui elle enseigne à distance. « J’ai d’autres demandes mais je n’ai pas le temps. » Dans l’établissement scolaire où elle travaille, près de quatre cents élèves suivent déjà ses cours de chinois car, dit-elle, « beaucoup veulent travailler dans les technologies de l’information et les jeux vidéo ».
La multiplication des chantiers de construction et la hausse du tourisme asiatique sont aussi des opportunités d’emploi pour les Kényans qui maîtrisent la langue. Amos Aloo, un enseignant, travaille à l’occasion comme interprète sur des chantiers. « On me demande de faire de la traduction, par exemple quand il faut installer une machine et que les consignes à passer sont techniques », explique-t-il. « Une erreur d’interprétation peut coûter des milliers de dollars, abonde Nobert Njoroge. Un bon interprète, en plus de connaître la langue, doit maîtriser le contexte et la culture. »
Il arrive aussi à Amos Aloo d’accompagner des touristes chinois dans le parc national du Masaï Mara ou celui d’Amboseli. « Ils ne parlent pas très bien anglais ou pas du tout, et Google Translate ne fait pas tout ! » Pour ce genre de travail, il facture entre 14 000 et 19 000 shillings par jour (entre 96 et 131 euros). Des montants non négligeables alors que les trois quarts de la population kényane gagnent moins de 50 000 shillings par mois.
Arthur Frayer-Laleix (Nairobi, correspondance)
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